SAINT QUENTIN
Qui était Saint Quentin à qui est dédiée l'Église de Wirwignes ?
L’église de Wirwignes est dédiée à Saint Quentin, ce qui est un signe de son ancienneté. Saint Quentin est, en effet, un évangélisateur martyrisé en Gaule belgique dans la seconde moitié du IIIe siècle par le gouverneur romain de la province, Rictius Varus.
Son culte s’est répandu très tôt, surtout dans les provinces du nord, bientôt françaises ou belges.
Eglise de Poses ( Eure ) : statue de saint Quentin sur un retable à baldaquin ( XVIe siècle ).
Photo monumentum.fr
Sa vie et son œuvre nous sont connues par plusieurs ouvrages, plus légendaires qu’historiques :
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De Gloria Martyrum de Grégoire de Tours, VIe siècle, conserve le récit de la découverte du corps de saint Quentin,
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le manuscrit latin BnF 5299 contient une Vita et passiones martyrium du IXe siècle dont on pense qu’elle serait la copie d’une œuvre antérieure à l’époque de saint Eloi parce qu’il n’y est pas mentionné,
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Vita et miracula s. Quintini, XIIe siècle, Bibliothèque Municipale de Saint-Quentin, manuscrit dit « L’Authentique » ou le manuscrit Raimbert,
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la Vie de saint Éloi, Vita Sancti Eligli est une œuvre de saint Ouen, auctore Dadone sive Audoeno, son ami. Elle a été écrite au VIIe siècle.
Elle a aussi été illustrée par des ouvrages :
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La Vie du très illustre martyr Saint Quentin, apôtre et patron du Vermandois de Claude Bendier, Saint-Quentin, Le Queux, 1673,
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Le Mystère de Saint Quentin, suivi des invencions du corps de Saint Quentin par Eusèbe et Éloi attribué à Jean Molinet, natif de Desvres et Grand Rhétoriqueur,
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et de nombreuses œuvres d’art : enluminures du manuscrit de la Vita et miracula s. Quintini, statues en bois polychrome des églises de Nucourt ( Val-d’Oise ), Halloy-lès- Pernois ( Somme ), Poses ( Eure ), tapisserie du Musée de Cluny, bas-reliefs de la basilique Saint-Quentin de Saint-Quentin ( Aisne ), tableaux du retable de l’église Saint-Quintin de Galey ( Ariège ) par exemple.
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Jacques de Voragine, dans sa Légende Dorée, au XIIIe siècle, fournit aux prédicateurs les informations qu’il juge utiles sur saint Quentin :
Quentin, noble citoyen romain, vint à Amiens où ayant fait beaucoup de miracles, il fut pris par l’ordre de Maximien, préfet de la ville, et battu de verges, jusqu'à l’entier épuisement des bourreaux; après quoi il fut jeté en prison. Mais un ange l’ayant délivré, il alla au milieu de la ville prêcher le peuple. Pris une seconde fois, étiré du haut du chevalet jusqu'à ce que ses veines eussent été rompues, rudement battu à coups de nerfs de boeuf, il endura l’huile, la poix, la graisse bouillante; comme il se moquait du président, celui-ci irrité lui fit jeter dans la bouche de la chaux, du vinaigre et de la moutarde. Mais il demeurait encore inébranlable; alors il fut conduit à Vermand, où le président lui fit enfoncer deux broches qui allaient de sa tête à ses cuisses, et dix clous entre ses ongles et sa chair ; enfin il le fit décapiter.
Son corps jeté dans un fleuve y resta caché 55 ans, et fut retrouvé ainsi qu'il suit par une noble dame romaine. Comme elle se livrait assidûment à l’oraison, une nuit, elle est avertie par un ange d'aller en toute hâte au camp de Vermand à l’effet d'y chercher en tel endroit le corps de saint Quentin et de l’ensevelir avec honneur. Elle se rendit donc, avec une grande suite, à l’endroit désigné, et y ayant fait sa prière, le corps de saint Quentin entier et sain, et répandant une odeur suave, surnagea aussitôt sur le fleuve. Elle l’ensevelit : et pour la récompenser de ce bon office, elle recouvra l’usage de la vue. Elle bâtit en cet endroit une église, après quoi elle se retira dans ses domaines.
( La Légende Dorée, tome II, page 305 , traduction de J.-B. M. Roze, Paris, Garnier-Flammarion, 1967 )
Enluminure du manuscrit Raimbert, page 004,
photo CNRS initiale.irht.cnrs.fr
Voici le cœur de la légende, telle qu’elle fonda un culte très vif à saint Quentin.
Les autres documents permettent de développer la légende : Quintinus naît à Rome dans une famille sénatoriale au IIIe siècle. Son père Zénon est un païen qui n’approuve pas sa conversion au christianisme à une époque où les empereurs romains Dioclétien et Maximien prennent des édits pour contraindre les Chrétiens à se conformer à la religion romaine.
Plein d’enthousiasme religieux, Quintinus quitte Rome pour une mission d’évangélisation de la Gaule Belgique avec onze jeunes gens : Lucien, Crépin, Crépinien, Rufin, Valère, Marcel, Eugène, Victorice, Fuscien, Piat et Rieul, reconstituant le nombre des Apôtres du Christ.
Bas-relief de la basilique de Saint-Quentin ( Aisne ) : Quentin quitte Rome avec ses compagnons, mur de clôture du chœur, 1884-1890, Francis et Aimé Jacquier.
Quentin se rend à Samarobriva- Amiens où il entame un travail de prédication efficace. Il est arrêté et emprisonné sur l’ordre du praefectus praetorii , gouverneur romain, présent à Samarobriva-Amiens mais qui réside ordinairement à Augusta Treverorum- Trèves. Il est arrêté et emprisonné, torturé pour qu’il renonce à sa foi mais il résiste. Le praefectus praetorii doit se rendre dans la capitale de la Gaule Belgique qui est Durocortorum-Reims où le procès de Quentin aura lieu. En chemin, le convoi s’arrête à Augusta Veromanduorum-Saint-Quentin ou Vermand, le praefectus praetorii fait à nouveau torturer Quentin puis ordonne son exécution, sa décapitation et que son corps soit jeté dans la Somme.
Ses compagnons mènent leurs missions à travers la Gaule Belgique : Lucien évangélise Caesaromagus- Beauvais, Crépin et son frère Crépinien, Rufin et Valère, Augusta Suessionum- Soissons, Fuscien et Victorice, la région de Saint-Omer, Saint Piat, Tournai, et ils connaissent le martyre sous les ordres du même praefectus praetorii. Rieul et Eugène deviennent des compagnons de saint Denis : Rieul devient évêque de Senlis, Eugène est arrêté à Deuil-la-Barre ( Val-d’Oise ), exécuté et son corps est jeté dans le lac d’Enghien ( son corps, retrouvé, est ensuite déposé à Saint-Denis ). Le praefectus praetorii Rictius Varus a soumis au martyre des centaines de Chrétiens. La légende raconte qu’il s’est converti et a été lui-même martyrisé et tué pour sa foi. Sa fête se célèbre le 6 juillet.
Le corps de saint Quentin, retrouvé au IVe siècle, semble-t-il, est enseveli dans une chapelle sur les lieux de son martyre. Grégoire de Tours en atteste : apud Virmandinsim oppidum ( De Gloria Martyrum )[1], ce que confirme saint Ouen dans la Vie de Saint Éloi : Locum illum est enim haud procul ab urbe Vermendense, in eo loco ubi quondam martyr … in monte fuerat tumulatus.[1]Vers 651, saint Éloi, évêque de Noyon, nouveau siège épiscopal qui succède à Vermand et Saint-Quentin, retrouve le corps et le place dans un tombeau près de l’autel puis fait agrandir ou rebâtir l’église et la décore richement : Ecclesiam quoque, quae exigua conventibus populi videbatur, eximio opificio ampliatam decoravit.[2] Le bâtiment est plusieurs fois agrandi, transformé. En 835, l’abbé Hugues fait placer le corps de saint Quentin dans une crypte placée sous l’abside. En 845, le roi Charles le Chauve fait ensevelir saint Cassien à ses côtés puis, en 893, saint Victorice les rejoint[3]. En 1228, le chœur est agrandi et le corps de saint Quentin est déplacé dans une châsse, sa tête et sa main sont placées dans deux reliquaires. Ce reliquaire est transformé, enrichi, il est volé, retrouvé[4] mais en 1793, quand les révolutionnaires brûlent les reliques de la basilique, saint Quentin disparaît. C’est en 1807 que Monseigneur de Beaulieu, évêque de Soissons, fait sortir de leur cachette une main et la tête rescapées et met en scène sur la place de la basilique leur réapparition.
Les légendes entourent saint Quentin. Une tapisserie conservée au Musée de Cluny raconte comment un voleur de chevaux échappa à la mort grâce à saint Quentin qui provoqua la rupture de la chaîne lors de la pendaison.
Le Miracle de saint Quentin, tapisserie attribuée à Josse Lieferinxe, France du nord, seconde moitié du XVe siècle, Paris, Musée de Cluny, photo Musée de Cluny.
On raconte aussi qu’aucun maréchal-ferrant ne put se maintenir dans le village de Marteville ( Aisne ) où les broches enfoncées dans les épaules de saint Quentin avaient été forgées.
Les érudits mettent aujourd’hui en question la vérité historique de Rictius Varus et des recherches menées par le C.N.R.S. ont montré que la main de saint-Quentin devait être datée du XVe ou du XVIe siècle.
Il reste une légende et un culte qui s’est illustré par de nombreuses œuvres d’art et de piété.
Saint Quentin est souvent représenté :
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comme un jeune homme avec une broche ou une tarière dans chaque épaule,
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avec des clous sur le corps et sous les ongles,
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comme un diacre,
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avec une roue cassée,
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assis sur une chaise,
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transpercé par une épée,
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décapité, une colombe s’envolant de sa tête coupée
Il est le saint patron des bombardiers, des aûmoniers, des serruriers, des porteurs, des tailleurs et des chirurgiens. On fait appel à lui, comme saint thaumaturge, pour soigner la toux et les éternuements, l’hydropisie et l’embonpoint.
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[1] Édition Bruno Krusch, Monumenta Germaniae historica, Scriptores rerum Merovingicarum, Hanovre, 1896, tome I, p. 536, l. 13 et 24.
[2] Id., tome IV, p.698.
[3] Id., tome IV, p. 699.
[4] Id. tome XV, pp. 270 et 271.
[5] Pour les détails, il faut lire Chronologie de la basilique de Saint-Quentin, Bulletin Monumental, tome 117, n°1, 1959