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Source : aupaysdemesancetres.com
Pour sa naissance, aucune indication et les hypothèses furent nombreuses, le faisant naître à côté de Metz[1] ou de Saint-Omer[2] jusqu’à la découverte par l’abbé Jules Delporte, en 1932, d’un acte notarié à Samer. Depuis, la naissance de Jean Mouton est située à Samer ou près de Boulogne-sur-Mer ou encore près du Touquet.
Cependant l’un des deux noms de Jean Mouton nous permet de formuler une autre hypothèse. Le terme de « Mouton » renvoie certes à l’animal, sa physionomie ou son caractère, mais il est aussi un diminutif affectueux du prénom « Jacques ». Il ne donne aucune indication précise sinon que Jean Mouton est du nord de la France où le nom est plus porté qu’ailleurs et que l’un de ses ancêtres s’appelait peut-être Jacques ou Jacqueline.
L’autre, « de Holleuingue », est plus intéressant. Les hommes de la fin du XVe siècle comme ceux du XVIe, étaient souvent désignés par leurs lieux d’origine. Les textes capitulaires de Grenoble, où il fut, en 1501, maître des enfants et du chœur de musique de Saint-André, le nomment indifféremment Jean de Hollevigne, Hollevugnes, Houllievignes, Houlvignes dit Mouton ou le Moton et Jean Mouton dit de Holvigne. Jean serait né à Holleuingue. Si on analyse phonétiquement le terme, on trouve le saxon holl-, le creux (comme dans l’anglais hollow) et -wick, le village.
Ce même creux se retrouve dans Houllefort ou Holleville dans le Pas-de-Calais, Holwick au Royaume-Uni, le même -wick dans Wirwignes.
Où trouver ce « village dans un creux », d’origine germanique ?
Il faut chercher près de Samer. Plusieurs faits le montrent. Dans l’acte notarié de l’église de Samer en 1506, retrouvé par l'abbé Jules Delporte, Jehanette Lemaire, mère de Jean de Hollingue, dit Mouton vend une maison, à Haut Wigne. Une édition de motets de Jean Mouton, en 1555, chez Leroy et Ballard à Paris, est dédicacée par Adrian Leroy à l’évêque Jean de La Rochefoucault. Il y cite Ionnis Mouton (Jean Mouton) sameracensis[3]. On pourrait lire sameracensis comme natif de Samarabriva, Amiens (Samarabriva, pont sur la Somme, en latin) mais il s'agit plus simplement de Samer.
Pas de doute, il faut chercher près de Samer.
Un peu de phonétique historique encore et on retrouve Hollewigne sous Haut Wigne, holl- qu’on ne comprenait plus, étant remplacé par « haut », ce qui est un comble pour un creux. De hollewigne à « hollingue », il s’agit de variations de prononciation et de graphie.
Sur la carte de Cassini[4], dressée entre 1756 et 1758 par César François Cassini, on trouve Hautwigne à Wirwignes.
[1] Il existe un village nommé Holling en Moselle.
[2] Roger Rodière, dans Les Vieux manoirs du Boulonnais, Commission Départementale des monuments historiques, Statistique monumentale du Pas-de-Calais, 1925, identifie le fief d’Hollinghes (1441 Hollingue 1642 Hollinghe 1510) à côté d’Éperlecques.
[3] MK.4.c.14, British Museum, Londres.
[4] Il s’agit de la première carte topographique du royaume de France. L’entreprise de cartographie a occupé quatre générations de la famille Cassini aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Carte Générale de la France César François Cassini 022 (Boulogne-sur-Mer) 16e Flle – BNF Gallica
Le nom du lieu-dit n’est plus connu aujourd’hui mais le nom de famille Holluigue ou Holuigue existe toujours. Existe aussi un lieu-dit, la Planque Holluigue. Une planque est, en picard, un petit pont en bois ou une petite surface cultivée.

Carte IGN 1 :25 000
Le comte Auguste de Loisne, dans son Dictionnaire Topographique du Pas-de-Calais[1] a consacré une notice aux formes du nom Haut-Wignes qu’il a pu relever :
« HAUT-WIGNES,f., Cne de Wirwignes. –
Houlluiche, 1505 (Comptes de Beuvrequen, f°208 r°).- Houlluyle, 1506 (terr. De Saint-Wulmer, p.158).- Hollewigne, 1553 (cueilloir de N.-D. de Boul ., G.2).- Holluique, 1553 (déclar. Des fiefs du Boulonn., p.227).- Halluyghes, 1562 (cueilloir de N.-D. de Boul., G.76).- Hautwignes, XVIIIe s. (Cass.).- La Planche-Holluique(cad.).
On peut donc affirmer sans grand risque que Jean de Hollingue était originaire de Wirwignes. Il a peut-être même été baptisé dans l’église Saint-Quentin toute proche.
L’épitaphe donne aussi d’autres informations : il fut chantre de la Chapelle des rois Louis XII et François Ier, chanoine de Thérouanne et de Saint-Quentin où il mourut.
Il étudia le chant et la musique avec Josquin des Près à Saint-Quentin si l’on en croit son élève, Adrien Willaert et le biographe de celui-ci, Gioseffo Zarlino. Devenu un très célèbre compositeur en Italie, Adrien Willaert fut, de 1527 à sa mort en 1562, maître de chapelle de la basilique Saint-Marc de Venise.
Un acte de notaire conservé dans le Minutier Central des Archives Nationales (VIII,4) permet de disposer des souvenirs de maître Jehan du Crocq sur Jean Mouton et de reconstituer le début de son parcours :
« Vénérable et discrète personne, maître Jean Ducrocq, prêtre, maître ès arts, naguère chantre écolâtre de l’église collégiale Notre-Dame de Nesle et scribe juré du chapitre du dit lieu, affirme […] que, il y a longtemps, il a rencontré monsieur Jean Mouton, à présent prêtre, et qu’en octobre 1477, maître Raoul Héron, chanoine de la dite église, nomma et présenta le dit Mouton qui n’était pas encore prêtre à Monsieur le Doyen et Messieurs du chapitre de la dite église, lesquels messieurs du chapitre, la chapelle, étant alors vacante, lui donnèrent et conférèrent à ce Mouton, nommé et présenté, comme je l’ai dit, par le dit Héron et de celle-ci mis en possession légalement après qu’il eut payé les droits habituels et après, pour sa bienvenue, il donna à dîner à Messieurs du chapitre en l’hôtel de feu Gilles Delaplace […] il institua et installa le dit Mouton au chœur de la dite église en lui donnant possession légale de la dite chapelle. Fait et passé le dimanche 22 juin 1483. »
« Venerable et discrete personne maistre jehan du crocq, prebstre, maistre es ars, nagueres chantre escolatre de l’eglise coleigial Nostre Dame de Neesle et scribe jure du chappitre dud. lieu, affirme […] que, des lontemps a, il a eu congnoissance de messire jehan mouton, a present prebstre, et que l’an mil .I.I.I.I.C.L.X.X.V.I.I. au mois doctobre maistre raoul heron chanoine de lad. Eglise nomma et presenta led. Mouton qui lors nestoit pas encore prebstre a messieurs les doyen et chappitre de lad. Eglise […] lesquelx mesd. Sieurs du chappitre lad. chapelle aud. vacant donnerent et confererent a icellui mouton nomme et presente comme dit est par led. Heron et dicelle mis en possession et saisine apres quil eut paye les drois acoustumez et apres pour sa bienvenue donna a disner a mesd. Sieurs du chappitre en lostel de feu giles de la place […] il institua et instella icellui mouton au cuer de lad. eglise en lui baillant la saisine et possession de lad. chapelle […] fet et passe le dimenche .X.X.I.I.e jour de juing, mil .I.I.I.I.C .I.I.I.I.X.X. et trois »
[1] Paris, Imprimerie Nationale, 1907, page 189.

Josquin des Prés, 1881 - Charles Gustave Housez
Jean Mouton fit donc fonction de chantre écolâtre[1] à Notre-Dame de Nesle en octobre 1477 et, devenu prêtre, put remplacer Jehan du Crocq en juin 1483.
En 1494-1495, il est chanteur et copiste de musique à la cathédrale de Saint-Omer.
Vers 1500, il a la charge des enfants de chœur à la cathédrale d’Amiens jusqu’en 1501 où les chanoines de Saint-André de Grenoble lui confient l’enseignement et la direction musicale de leur église[2].
En 1502, Louis XII et sa femme séjournent à deux reprises à Grenoble et Jean Mouton entre au service de la reine Anne de Bretagne. La reine lui obtient en mai 1510 un canonicat[3] à Saint-André de Grenoble. Il était déjà titulaire d’une cure à Saint-Dolay, à côté de Vannes depuis 1509 qu’il échangea avec François Le Vigoureux contre son canonicat à Saint-Martin de Tours[4]. Il obtint ensuite un canonicat à Thérouanne, remplacé sans doute, sur une décision de Louis XII, par celui de Saint-Quentin. Thérouanne a été prise par les Anglais en 1513 et reprise seulement après la mort de Jean Mouton, en 1527.
En 1514, à la mort d’Anne de Bretagne, il sert dans la musique royale (dirigée par Antoine de Longueval) comme chantre sous Louis XII puis François Ier où il semble être compositeur de la cour. Très prolifique, il célèbre tous les évènements du royaume et des familles royales dans des motets[5] ainsi la naissance de Renée, fille de Louis XII d’Anne de Bretagne dans Non nobis Domine en 1509, la mort d’Anne de Bretagne dans la lamentation Quis dabit oculis nostris, le sacre de François Ier en janvier 1515 dans Domine, salvum fac regem, la victoire de Marignan en décembre 1515 par Exalta regina Galliae et la naissance du dauphin François en 1518.
Il écrivit un introït de messe, Da pacem, Domine pour le Camp du Drap d’or en 1520. On peut penser qu’il y avait accompagné le roi François Ier qui voulait faire montre de sa vie de cour brillante lors de la fastueuse rencontre avec Henri VIII d’Angleterre près de Calais.
En 1515, il l’avait accompagné à Bologne pour son entrevue avec le pape Léon X. Jean Mouton avait composé plusieurs pièces pour les chapelles royale et papale dont la messe Quem dicunt homines. Il y connut un grand succès.
L’ambassadeur de Ferrare raconte dans une lettre[6] le 14 juin 1518 que, même s’il était souvent à la cour de France, Jean Mouton résidait habituellement en Picardie. On peut penser que Jean Mouton avait déjà rejoint la collégiale de Saint-Quentin où il mourut en 1522.
[1] Un chantre écolâtre dirige l’école de chant d’un chapitre dans une collégiale ou une cathédrale.
[2] H.M. Brown, article « Mouton, Jean », Grove Music Online, Oxford.
[3] Un canonicat est la dignité de chanoine et son bénéfice.
[4] Richard Sherr, Music and Musicians in Renaissance Rome and Other Courts, London, Routledge, 1999, page 71.
[5] Un motet est une composition musicale et poétique, profane ou sacrée, polyphonique, dont les formes ont varié.
[6] Mouton « hozi, si è inviato alla volta de Piccardia per andare a casa sua, et del ritorno suo non scia quando » (Mouton est parti aujourd’hui pour la Picardie, chez lui, et on ne sait quand il reviendra). Lewis Henry Loockwood, « Jean Mouton and Jean Michel : New evidence on French Music and Musicians in Italy, 1505-1520 », Journal of the American Musicological Society, 32, 1979, pp. 215-216.

Le camp du drap d'or - École anglaise 16e siècle - Royal Collection Trust - His Majesté King Charles III 2024
Jean Mouton connut aussi une belle carrière auprès du pape Léon X. On lit dans l’édition des motets de 1555 que la musique de Jean Mouton était appréciée par le roi François Ier et par le pape Léon X[1]. Lors des pourparlers de paix à Bologne en décembre 1515, Jean Mouton qui accompagne la cour de France est fait notaire apostolique par Léon X qui connaissait ses œuvres, inscrites depuis 1513 au répertoire de la chapelle papale.
Jean de Médicis, le pape Léon X, est un des fils de Laurent de Médicis, le Magnifique, et l’oncle du duc d’Urbino Laurent Médicis. Il avait créé autour de lui une flamboyante et enthousiaste vie artistique. Il fut le protecteur du peintre Raphaël et du linguiste, poète et écrivain Pietro Bembo. Musicien lui-même, il montra une prédilection pour Josquin des Près et Jean Mouton. On les trouve tous deux, avec Adrien Willaert, dans la collection de 53 motets, le Codex Médicis[2], que le pape offrit à son neveu à l’occasion de son mariage avec Madeleine de la Tour d’Auvergne, le 2 mai 1518 à Amboise. Un spectacle fut donné, organisé et créé par Léonard de Vinci. C’est dire le faste dans lequel vécut le pape. On dit que ce faste fut une des sources de réflexion de Martin Luther.
Compositeur prolifique, en latin et en français, dans des genres profanes et sacrés, Jean Mouton a laissé 15 messes, une centaine de motets, 9 Magnificat, des psaumes en latin, 25 chansons en français. Polyphoniste moderne, il a transformé les techniques de l’Ars nova du XIVe siècle vers plus d’expressivité, en cherchant une plus grande liaison entre les textes et la musique. Il a influencé les générations qui l’ont suivi en Italie du Nord, à Venise et à Rome. Il excellait dans l’art du canon et de l’imitation, la science de la continuité des lignes vocales.
Son œuvre a été plus d’une fois imitée par d’autres compositeurs, ce que rendait plus aisé la diffusion rapide et abondante de son œuvre par les manuscrits et les publications. Il est le musicien le plus recopié et publié de son temps. Ainsi le motet de Noël à quatre voix, Queramus cum pastoribus, a été imprimé à Venise en 1521 par André de Antiquis, copié dans le manuscrit du chœur de la chapelle pontificale puis réimprimé en 1529 en France par Pierre Attaingnant, à nouveau en 1553 par Nicolas Duchemin puis en 1559 à Nuremberg par Montanus et Neuber. Queramus cum pastoribus devint une messe d’Adrien Willaert, une messe de Christoval de Moralès, une messe d’Arcadelt, chanteur de la chapelle pontificale, une fantaisie pour orgue d’Antoine de Cabezon. Le motet Domine, salvum fac regem connut un traitement identique et devint un hymne royal français.
[1] Cujus ars Leoni.X. Pont. Max. summe probata fuit, vox autem et opera clarissimo Regi Francisco, inter cujus symphonetas habitus est, placuerunt.
[2] Manuscrit 666, Bibliothèque Médicéenne, Florence.

Jean de Médicis, pape sous le nom de Léon X de 1513 à 1521 Peinture d’il Bronzino (Musée Médicis, Florence)
La réputation de Jean Mouton fut immense auprès de ses contemporains, égale à celle de Josquin des Près. Il est encore suffisamment connu en 1552 pour être cité par François Rabelais au milieu des musiciens « chantants mélodieusement » dans le Prologue du Quart Livre de Pantagruel.
« Et je me souviens ( car j’ai un pénis , et c’est vrai dans ma mémoire, bien beau et assez grand pour remplir un beurrier ) avoir, un jour de fête tubilustre[1], pendant les fêtes de ce bon Vulcain, en mai, avoir entendu autrefois un beau parterre : Josquin des Près, Ollzegan, Hobrethz, Agricola, Brumel, Camelin, Vigoris, de la Fage, Bruyer, Prioris, Seguin, De la Rue, Midy, Moulu, Mouton, Guascoigne, Loyset Compère, Penet, Sevin, Rouzée, Richardfort, Rousseau, Consilion, Constantio Festi, Jacquet Bercan, chantant mélodieusement »
Et me soubvient (car i’ay mentule, voyre diz ie memoire, bien belle, & grande assez pour emplir un pot beurrier) avoir un iour du Tubilustre, es feries de ce bon Vulcan en may, ouy iadis en un bon parterre Iosquin des Prez, Ollzegan, Hobrethz, Agricola, Brumel, Camelin, Vigoris, de la Fage, Bruyer, Prioris, Seguin, De la Rue, Midy, Moulu, Mouton, Guascoigne, Loyset Compere, Penet, Sevin, Rouzée, Richardfort, Rousseau, Consilion, Constantio festi, Iacquet Bercan, chantans melodieusement.[2]
La chanson que François Rabelais rapporte est une chanson gaillarde.
Pierre de Ronsard le cite dans la Préface de Meslange de chansons.[3] Pierre Maillard, dans Tons et discours sur les modes de musique, le nomme encore avec Josquin des Près[4].
Et puis l’oubli s’installa. Néanmoins, ses œuvres restèrent inscrites au répertoire de la chapelle pontificale où elles sont toujours interprétées et de prestigieux ensembles de musique de la Renaissance le jouent toujours dans le monde entier.
Vous trouverez facilement sur les plateformes en ligne (Deezer, Spotify…) ou chez votre disquaire une large discographie de ses œuvres et nous ne pouvons que vous conseiller de découvrir ces riches et subtiles polyphonies….avant de pouvoir, pourquoi pas les entendre dans l’église de Wirwignes qu’il a probablement fréquentée enfant même si aucune trace n’en a été trouvée encore.
Liens à cliquer vers quelques vidéos
« Nesciens mater » / The Monteverdi Choir - Gardiner
https://youtu.be/_hZHKKD5ahk?si=-9lqTBos3rCgRk36
“Ave Maria” / The Marian Consort
https://youtu.be/lzoYbXqxUjU?si=-3iPA5XzMjInx3JO
Présentation de Jean Mouton et extraits d’œuvre interprétés par l'Ensemble Clément Janequin
Reportage réalisé à la Cathédrale de Saint-Omer lors du Festival Contrepoints 62 le 3 octobre 2015.
https://youtu.be/3iGPGNK67b4?si=2Q4U9ds4_bwr_dxs
“Quaeramus cum pastoribus” / Bay Choral Guild (Sanford Dole, Artistic Director)
https://youtu.be/kQVJMoQpMsY?si=njJ-p8DTZH-XZjHu
[1] Ce sont des fêtes romaines de l’Antiquité, dédiées au dieu Vulcain.
[2] Texte établi par François Bon, 2023, Athena, Université de Genève, Suisse, page 18.
[3] Œuvres de Ronsard, Prosper Blanchemain, VII, Paris, P. Jannet, 1867, page 337.
[4] Tournai, Charles Martin, 1610.
